Interview de Ioanna Zacharaki, Présidente de Axion, Académie des Valeurs,
par Irène Papaligouras Bataille, co-Fondatrice du World Human Forum
Le 9 avril 2019
Conférence « Vers une nouvelle conscience européenne ? »
Irène Papaligouras Bataille : Qui êtes-vous, qu’avez-vous constaté et pourquoi avez-vous décidé de créer l’Académie AXION ?
Ioanna Zacharaki : Je suis philologue, sociologue, je travaille comme consultante auprès d’une institution sociale pour l’intégration sociale et l’interculturalité. J’enseigne à l’Université de Bochum, j’ai publié une série de livres scientifiques, j’ai étudié diverses méthodes d’enseignement et j’organise des séminaires de formation sur les relations interpersonnelles à l’intention d’enseignants et d’employés de divers départements.
Dans mon travail d’enseignement, j’ai constaté que les étudiants étaient de plus en plus préoccupés par le rythme trop rapide d’évolution de la société et du monde. Ils souhaitaient mieux comprendre les problématiques de notre époque et s’interrogeaient sur les compétences individuelles nécessaires pour faire face aux défis actuels. Ils étaient également préoccupés par la question de savoir si l’éducation et la société actuelles réussissent à préparer correctement les individus pour relever ces défis.
Ces constats, ainsi que des discussions avec les enseignants sur les nouveaux besoins éducatifs et le problème du soutien à apporter aux jeunes, m’ont permis d’explorer ces questions et d’élaborer, en collaboration avec une école de Solingen, du matériel pédagogique pour une éducation humaniste mettant l’accent sur le développement de la personnalité, l’éthique et la formation de caractère.
IPB : En quoi est-ce que les anciennes valeurs platoniciennes et la Philocalie sont-elles les fondements appropriés pour le développement des valeurs des jeunes aujourd’hui ?
Avez-vous constaté des différences entre les jeunes Allemands et les jeunes Grecs auxquels vous avez dispensé votre enseignement ?
IZ : Les jeunes vivent aujourd’hui dans la société de Consommation où le matériel et l’argent sont prépondérants et le rythme intensif. Une société où croissance et performance comptent énormément, où le désir permanent est d’obtenir toujours plus : plus d’argent, plus de consommation, plus d’expériences intenses.
C’est la quantité qui est privilégiée et non la qualité de vie.
L’égo est privilégié, au détriment de l’être, de l’existence et du don aux autres.
Le tourbillon incessant des modes de vie et des valeurs qui changent désoriente un pourcentage important de jeunes qui sont désaxés et vivent sans but réel et tangible. Ils éprouvent un sentiment d’inexistence et deviennent indifférents au monde qui les entoure, n’obtenant plus aucune satisfaction de rien. Ainsi bien des jeunes pensent n’avoir aucun impact sur leur vie propre et celle de la société et ce dans l’indifférence générale. Ils perdent ainsi leur équilibre intérieur et vont jusqu’à intégrer des organisations extrémistes pour essayer de donner un sens à leur vie.
Platon et la Philocalie parlent d’exercices spirituels, d’éthique, d’éducation morale, de vertu, de renforcement de l’âme et de quiétude. Nous parlons d’un travail spirituel intérieur conduisant à la purification de l’esprit et du cœur.
Des valeurs telles que la sagesse, le courage et la justice sont bénéfiques à l’État qui en a besoin au plus au point pour assurer sa subsistance.
Ces textes nous parlent de perfection, car l’exercice spirituel nous permet de toucher le divin. C’est le but de la vie terrestre. Apprenons à connaître et à pratiquer l’être, l’âme, si négligés en notre époque de l’avoir.
Les psychologues actuels sont désemparés face à l’accroissement des maladies psychologiques chez les jeunes qui souffrent du rythme trépidant et de la pression continuelle exercée sur eux par les exigences de performance résultant en un stress constant.
On parle de résilience, du pouvoir de régénérescence de l’âme. L’âme est comme un élastique qui peut se contracter ou se détendre en fonction des obstacles rencontrés. Il est important pour les jeunes d’apprendre à faire l’effort de résister à la consommation à tout va, à contribuer à la gestion des déchets, à se débarrasser d’habitudes néfastes nuisant à l’environnement. Il est primordial qu’ils apprennent l’importance de la sérénité et de la tranquillité d’esprit pour retrouver un rythme plus humain. La formation à l’écologie, le tissage d’une relation éthique à la nature, à la famille, au travail et à la diversité culturelle et sociale sont primordiales.
L’éducation classique comprenant l’étude de la philosophie te de la théologie, fait ressortir un ensemble riche de valeurs humanistes, façonne la pensée critique des jeunes, cultive un sens de l’indépendance. Elle contribue à former le caractère, à aider l’individu dans sa recherche de solutions à ses problèmes, à le pousser à adopter une attitude positive à l’égard de la vie. Elle développe la créativité, la générosité et l’esprit de don, encourageant l’adoption de valeurs nobles qui renforceront la personnalité et construirons le caractère. Dans mon expérience d’enseignement, je ne vois pas de différences entre les jeunes allemands et les jeunes grecs. Des deux côtés j’ai constaté un grand intérêt pour le programme d’éducation par les valeurs qu’ils abordent en adultes. Nos évaluations du programme montre qu’il est très bénéfique quant au développement d’une attitude positive dans la vie et l’apprentissage de stratégies permettant de relever les défis du quotidien.
IPB : Selon vous, l’Académie des valeurs peut-elle aider les jeunes Européens (y compris les réfugiés) à développer une conscience européenne commune afin de contribuer à la construction d’un avenir favorable pour notre continent ?
IZ : Je pense que la formation systématique des jeunes aux valeurs, les sensibilisent et leur fait acquérir une conscience européenne car elle leur apprend le respect des différences et la compréhension de l’autre.
Les ateliers et autres expériences pratiques auxquels ils participent leur font ressentir la richesse culturelle de l’Europe, réaliser l’existence d’autres modes de vie, de pensées et de comportements. À travers des approches interdisciplinaires de la diversité culturelle, les jeunes brisent les stéréotypes, vivent de nouvelles expériences passionnantes et apprennent à développer empathie et compréhension mutuelle.
Ces résultats sont encourageants et notre évaluation du programme après trois ans de fonctionnement montre qu’il a une influence positive sur le climat de la classe et le comportement des étudiants.
En ce qui concerne le développement d’une cohérence du groupe, nous avons constaté davantage de tolérance, de respect, d’acceptation et d’appréciation de l’autre ainsi que de convivialité dans les rencontres.
Autres résultats liés aux précédents : des relations plus étroites entre les étudiants, plus de cohérence, un sens collectif accru et une meilleure compréhension des pairs et des camarades. Également, une meilleure intégration des tiers et une plus grande tolérance envers l’« étranger ».
Ainsi, l’éducation classique, la philosophie et l’évangélisation mettent en valeur un riche ensemble de valeurs humanistes, façonnant la pensée critique des jeunes, cultivant un sens de l’indépendance. Elle cherche à former l’individu, à trouver des solutions à ses problèmes, à l’aider à adopter une attitude positive dans la vie, à renforcer sa personnalité et son caractère.
Les étudiants acquièrent ainsi une plus grande capacité à se confronter aux difficultés de la vie, une confiance en soi accrue et une plus grande autonomie. Leur confiance envers eux-mêmes et envers les autres devient de plus en plus importante. Ils acquièrent un sens aigu de la justice.
Comme vous pouvez le constater, cela vaut la peine d’investir de manière systématique dans une éducation humaniste et indépendante du genre, da la nationalité ou de la religion. Une éducation qui place l’homme au cœur de la vie.