Comment les valeurs européennes s’inscrivent-elles dans la réalité d’aujourd’hui ? – Irène Dupoux-Couturier

Intervention d’Irène Dupoux-Couturier le 9 avril 2019
Conférence « Vers une nouvelle conscience européenne ? »

La question des valeurs européennes, de leur réalité et de leur impact dans le monde actuel sera examinée sous 3 angles :

  1. Prise de conscience historique
  2. Expression de cette prise de conscience aujourd’hui
  3. Demain : quelles attentes réciproques de l’Europe et du Monde vis-à-vis l’un de l’autre ?

1- Prise de Conscience historique

Afin d’assurer sa survie, Homo Sapiens a bâti des socio-cultures, à savoir, des manières de s’adapter à des environnements les plus divers.

Cependant, aujourd’hui, nous vivons un bouleversement sans précédent.

Nos sociétés, de plus en plus vivantes, deviennent de plus en plus complexes : les structures fixes traditionnelles sont emportées dans un grand mouvement de transformation, de métamorphose.

Alors qu’elle est née dans l’Europe du 18ème siècle, cette métamorphose humaniste n’a cessé depuis de s’étendre et de s’amplifier : de l’Europe, elle a atteint les Etats-Unis pour devenir progressivement un phénomène terrestre.

Mais quelle place l’Europe peut-elle tenir dans ce grand mouvement ? Ses valeurs peuvent-elles l’aider ? Aider le monde entier ?

Rappelons que l’Europe est avant tout un espace fondé sur une diversité géographique, ethnique, socioculturelle (il n’existe pas, à proprement parlé, une « European way of life » !)

Néanmoins, comme vient de le dire Costas Stamatopoulos, il existe une culture partagée dont les racines remontent aux peuples préhistoriques (cf. des témoignages tangibles telle que la grotte Chauvet), à l’héritage gréco romain et judéo-chrétien. En témoignent les signes extérieurs architecturaux que nous pouvons découvrir dans les différents pays européens (par exemple, les cathédrales gothiques qui s’étendent sur un vaste territoire du nord au sud de l’Europe) ou encore l’art européen.

Par cettediversité originelle, son histoire, ses tendances culturelles, l’Europe semble particulièrement capable de s’adapter à un monde protéiforme, en pleine métamorphose sociétale.

Et c’est là sa force, sa spécificité. C’est là où le monde l’attend et a besoin d’elle.

En effet, au cours de son histoire, l’Europe a vécu deux métamorphoses sociétales :

  • Celle de la Renaissance où, passée de l’ère féodale à l’ère des Etats et de la bourgeoisie, elle a déployé un processus de civilisation, exprimé en matière culturelle par une sorte de déification de la rationalité. Ce qui a permis à la fois la révolution scientifique et les formidables progrès techniques dont l’humanité a pu bénéficier et continue de le faire de nos jours mais aussi les catastrophes du 20 e siècle.
  • Celle d’aujourd’hui, liée en partie aux avancées technologiques mais pas seulement. Après des centaines d’années où les individus étaient noyés dans la masse, soudain, en ce début de 21e siècle ils se sentent devenus des personnes à part entière, voulant décider de leur propre destin, et refusant les institutions traditionnelles pré établies. Des personnes qui ont la capacité et la volonté de faire dialoguer leurs cerveaux rationnels+ émotionnels+ sensoriels+ spirituels.  C’est là ce qui est désigné par le terme Personnalisme européen car s’il existe aussi ailleurs, en Russie, en au Japon ou en Afrique, c’est bien en Europe qu’il s’exprime de manière beaucoup plus forte et spécifique qu’ailleurs. C’est cette 2ème métamorphose qui donne toute sa place à l’Europe d’aujourd’hui pour faire face aux nouveaux enjeux planétaires nécessitant des qualités cérébrales d’adaptabilité aux diverses situations telles que plasticité, flexibilité et créativité.

2- Expression de cette prise de conscience aujourd’hui

Depuis 1945 l’Europe a montré une acceptation positive de la diversité qui n’est pas sans lien avec son désir de paix et qui s’est exprimé par un humanisme personnalisé se traduisant sur différents plans :

  •  Politique : Etat providence –et, plus particulièrement aujourd’hui, recherche pour la société du Sens et du Bien commun
  • Economique : bonne gestion, économie du partage (rôle du secteur coopératif+ capitalisme rhénan) -et, plus particulièrement aujourd’hui,effort de régulationdu libéralisme outrancier, tendance vers une économie du bien commun, économie sociale et solidaire (le PACTE, RSE)
  • Culturel : protection des identités + ouverture / rôle de l’Europe comme pont entre l’Asie et l’Amérique (ce qui est lié à la rencontre de 2 vieilles civilisations, la Chine et pré confucéenne et la Grèce pré socratique).

3- Demain : quelles attentes réciproques de l’Europe et du Monde vis-à-vis l’un de l’autre ?

Selon le physicien Ilya Prigogine, dans tout système dissipatif apparaît une brisure, un point de bifurcation situé au cœur du processus et qui fait que l’on a un choix à faire.

Concernant le Monde, le choix consisterait à prendre l’une des deux voies suivantes :

  • Celle d’une société chaotique, bloquée, refermée sur elle-même, sous forme de gouvernements autoritaires, nationalistes, populistes, guerriers, (USA, Chine, Europe), de financiarisation (révolution technologique) orientée court-terme, et non humaniste,
  • Celle d’une société-comme-un-cerveau (société constituée de réseaux interconnectés créatifs).

Selon l’ouvrage d’Alain de Vulpian « Eloge de la Métamorphose : en marche vers une nouvelle Humanité », écrit en 2015 en partant de 50 ans d’observations sur le terrain, le scénario de la société-comme-un-cerveau ne serait pas une utopie.

Cependant, aujourd’hui, en 2019, soit 4 ans après la rédaction de l’ouvrage, le scénario optimiste d’une « Europe -poisson pilote » paraît moins certain.  Beaucoup de blocages ont été constatés et la métamorphose n’a pas progressé aux USA (Trump), en Chine, (nationalisme, autoritarisme) ou même en Europe (populisme, nationalisme, instinct guerrier). En ce qui concerne cette dernière, elle pourrait éclater sous le choc des crises migratoires.  

Si les tendances actuelles continuent, la métamorphose sera bloquée pour un temps indéterminé, 100-200 ans…l’avenir ne se décrète pas.

Mais une autre voie paraît possible :  l’Europe pourrait être une clé de compréhension de la métamorphose du monde. 

Il y a urgence :

L’Europe doit se dépêcher de mettre en œuvre la société-comme-un-cerveau (réseaux créatifs), prendre conscience de ce qui existe, (cf. tables rondes suivantes), relier, développer : Les Européens-comme-un-cerveau

Les objectifs que l’Europe doit poursuivre sont de :

  1. Protéger l’homme, protéger la planète, l’Ecologie au sens Global du terme, la Maison Commune, préserver le spirituel,, caractéristique d’Homo Sapiens.
  2. Vu du terrain, sous l’angle de la métamorphose, L’Europe pourrait être un laboratoire de démocratie sociétale, « poisson-pilote de la métamorphose » agissant dans différents domaines :
  3. En Socio-économie expérimentale : starts ups (Sens), collectifs hybrides, do-tanks
  4. En Politique : Remise en cause de la Démocratie participative et expérimentation d’autres formes de Démocratie plus directes
  5. Construction d’une nouvelle démocratie sociétale (représentative+ participative), rôle du local, participation des citoyens à l’innovation, gouvernances catalytiques (consistant à faire émerger des moyens de faire ensemble en plus grande cohérence) Faire-Avec, au faire-Ensemble, rôle du glocal)  (cf. 2ème table ronde : nouveaux modes, nouveaux liens, nouveaux enjeux),  (de Stockholm à Delphes en passant par la France et l’Allemagne) : Kingersheim, Loos-en-Gohelle, mairies de France, maisons des citoyens, mairies.
  6. Construction/renforcement de l’Europe des projets en réseaux : Erasmus, Erasmus des apprentis, Europe industrielle, Europe des réseaux d’accueil, de la protection de la planète,
  7. Pour une Europe de la subsidiarité : Les institutions centrales sont au service des citoyens européens, « à l’écoute des spécificités » de chaque membre de l’Union
  8. Pour une Europe non de la puissance mais de l’influence : livre « scénario du soft-power », une autre forme de pouvoir (réseaux) qui se crée (CIA) dans un monde hyper-complexe.

Le sentiment d’Irène Dupoux-Couturier est que c’est bien dans ces domaines que le monde attend l’Europe, à savoir qu’elle puisse devenir le pôle civilisationnel dont l’objectif est de rendre la planète (Nature + les Hommes) « Great Again » (les réactions mondiales après le désastre de ND de Paris confirment cette intuition).

Pour répondre à cette urgence, il est primordial de faire attention aux signaux faibles, de développer sa socio-perception.

Une dernière remarque enfin : l’Europe est mieux perçue de l’extérieur que de l’intérieur : « vous êtes en avance, vous êtes une clé pour comprendre la métamorphose humaniste du monde »